Rubrique : Ressources documentaires
Catégorie : Documents & témoignages anciens
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LA POULE COMMUNE ( 2ème partie )


Auteur : D'ARROS


LA POULE COMMUNE ( E. d'ARROS , l'Aviculteur 1892 )

Et pourtant, depuis quelques années, on trouve un peu partout dans les traités, dans les programmes, dans les encyclopédies, que sais-je encore, la poule Bankiva reconnue comme poule de la nature !
Sans doute ce rôle ne lui est pas toujours accordé sans conteste, et un peu partout aussi, elle est forcée de se contenter, pour l'octroi de cet hommage, d'une phrase plus ou moins dubitative: on croit communément que.... L'opinion la plus répandue est que... D'après le plus grand nombre des auteurs on peut admettre que..., etc.
Mais enfin, de nos jours, cela suffit pour que la Bankiva, sans raison aucune, enlève l'opinion. Je dis sans raison, car quelles sont les raisons que pouvait invoquer le trouveux, le chercheux qui, le premier l'a désigné aux honneurs de poule origine ?
A-t-il déduit ses conclusions des habitudes, des moeurs plus particulièrement sauvages des sujets de cette variété ? ( car on ne peut pas affirmer que la Bankiva ne soit pas autre chose qu'une simple variété.) Ce serait bien à tort ; car d'après toutes les monographies connues, la Bankiva se comporte, ni plus ni moins, comme toutes ses congénères sauvages.
Elle offre avec elles des différences de taille, de plumage, de forme, tout comme nos Houdan en offrent avec nos mille variétés domestiquées; mais on voit que cela ne suffit pas à une conclusion sérieuse. A -t-il peut-être, à force d'intuition, de flair zoologique, restitué dans son concept un type primitif du genre poule qui se soit sous certains rapports trouvé en harmonie avec la Bankiva, usant ainsi de la méthode de Cuvier, méthode grâce à laquelle cet illustre savant reconstitua fidèlement le fameux quadrupède antédiluvien ?
D'abord, de son temps, tout le monde connaissait Cuvier et sa science était titre presque impérieux de créance. Celui qui a trouvé la poule de la nature dans la Bankiva , nul ne le connaît. Et puis avait- il dans sa collection le bec de la poule primitive, comme Cuvier y possédait celui de son pachyderme, de son mastodonte ?
D'ailleurs, il faut bien le dire, les concurrents ne font pas défaut à la poule Bankiva. Il serait trop long et surtout trop fastidieux d'énumérer les diverses variétés sauvages présentées successivement et malgré les titres déjà accordés comme candidates dans l'espèce . Et chacune se présentait, on le pense bien, avec des marques incontestables.
Pourtant la vaillante Bankiva avait tenu bon, elle avait résisté à tout, refusant de céder un pouce de ses prétendus droits jusqu'au jour où un hidalgo qui jusqu'alors avait gardé son secret, vint noblement trouver la souveraine et lui tint à peu près ce langage :
" Vous avez jusqu'ici conservé pour votre famille tous les honneurs dûs à notre illustre race: C'est fini. Considérez-moi et veuillez concevoir que, pour le moins, un partage s'impose. Je suis le chef de la tribu des lagos, c'est-à-dire des géants, et de ce chef, je viens défendre les droits de mes ancêtres à la paternité exclusive de toutes les grosses races. Y consentez-vous ? "
La pauvre Bankiva, paraît-il, se le tint pour dit: elle passa le séné pour se faire passer la rhubarbe. Elle n'était plus, en fait de poule de la nature, que la poule de la nature des races moyennes, tandis que le superbe lago devenait le Coq de la nature des grosses races , mais cela ne valait - t - il pas mieux que rien ?
Et la science consentit à la transaction; et depuis le traité, programmes et tous livres admettent :
1° la Bankiva, souche des races moyennes ;
2° le géant ou lago, souche des grosses races !!!
Cher lecteur, vu le ton dont je vous présente cette étude, vous serez peut-être portés à croire que je vous sers une fantaisie, une mystification ? Ce n'est pas cela : ce que je vous dis est écrit partout, vous pouvez le lire de vos yeux. Je l'ai lu moi-même et je n'y crois pas encore, et, surtout, je me demande ce qu'il faut faire dans cette galère de l'unité de race chez les poules !
Notez toutefois que ce sont les plus grands avocats de cette cause qui inscrivent les catalogues ci~dessus, sans faire attention que sans tarder ils devront ajouter un chapitre à propos des races naines. Pour le coup, j'ai mon candidat à moi : un petit Bantam que j'enverrai en toute confiance négocier à la cour de la dédaigneuse Bankiva et même du superbe lago. Je suis sûr qu'il s'en tirera ; car il a du toupet autant que du bec et des ongles, et ce n'est pas peu dire. Je vous conterai peut-être un jour les prouesses de mon petit insolent d'ami qui , malgré son minuscule corsage, ne " craint sous le ciel qu'une chose... manquer de maïs…. )
Ce qui résulte de plus clair de tout ce que le lecteur vient de voir c'est, je crois , qu'il est désormais impossible de retrouver la poule de la nature: nous arrivons trop tard surtout pour en donner a priori les caractères distinctifs.
Pourquoi la Bankiva et le lago sont-ils arrivés, comme on dit ? Je ne le sais; mais ni l'une, ni l'autre n'ont des droits sérieux.
Pour nous les faire accepter on doit d'abord nous prouver qu'elles ne sont pas l'une de ces innombrables variétés produites dès avant h'époque historique.
Si j'étais chargé de donner mon avis, je dirais même qu'il est moralement sûr qu'elle n'existe plus ayant disparu pour toujours dans les flots successifs des croisements. Maintenant, n'y a -t-il pas un autre sens à donner au mot poule commune ? et dans ce sens la poule commune est-elle introuvable ?
Durant ces transformations successives des parties accidentelles des sujets, le port, la forme générale, l'ossature surtout ont subi aussi des changements à vue d'oeil, changements que je ne sais indiquer autrement qu'en disant que les grosses masses ont disparu : la race est devenue plus petite.
Le port du corps est devenu horizontal avec une queue verticale et courte taillée en éventail d'un côté et un cou porté de même et surmonté d'une tête petite et effilée , les os ont diminué jusqu'au minimum de nos races connues et les pattes nues sont d'un bleu noirâtre.

D'où, après transformation complète, on trouve :

1° : plumage franchement blanc, franchement noir ou franchement fauve ;
2° : taille au-dessous de la moyenne ;
3° : ossature très fine ;
4° : tête effilée avec une crête rudimentaire qui semblerait devoir être droite et simple si elle avait poussé ;
5° : barbillons et oreillons presque nuls ;
6° : ni cravates, ni camails, ni manchettes... etc.

Il est temps de dire que je ne parle ici que de la poule. Pour le coq, il subit les mêmes transformations mais pour aboutir au type suivant qui d'ailleurs n'est pas bien éloigné de celui de la poule. Le plumage ordinairement noir. Quand il est noir il l'est franchement , excepté dans quelques cas où la première penne de chaque aile est blanche.
Ces derniers sujets sont regardés comme défectueux et les fermières leur arrachent ces deux plumes avant de les présenter au marché.
Quand le plumage est fauve, le camail est formé le plus souvent de lancettes noires au centre et rouges sur les bords. Ces sujets ressemblent par là au coq gaulois. Mais, ni noirs, ni fauves n'ont de crête développées, ni des oreillons, ni des barbillons. La masse est un peu plus forte que celle de la poule tout en restant encore élégante et svelte sur deux pattes aussi plus hautes que celles de la femelle.
Ce serait une erreur de croire que cette transformation régulière ne soit autre chose que le retour à une vieille variété ayant longtemps dominé dans la basse-cour. Non, ce n'est pas un simple retour à une variété, car je ne connais pas une variété classée à qui on puisse comparer ces sujets. Ainsi dans le pays où j'ai le plus souvent constaté ces transformations, c'est la race espagnole qui domine grandement partout; or il n'y a plus de race espagnole dans les sujets transformés.
Or pourrait-on appeler cela, un étiolement, une atrophie se produisant insensiblement, mais présentant ce caractère particulier d'aboutir toujours à quelque chose d'assez homogène, d'assez fixe pour pouvoir prendre soi-même le nom de variété. C'est là ce qu'il y a de surprenant dans la constatation, en même temps que la transformation des instincts qui accompagne celle des formes. Je vais terminer par là.
Arrivée à ce point la poule est singulièrement sauvage, batailleuse, criarde. Elle fuit la société de ses congénères, dédaigne le potager et s'égare à travers les grandes prairies, les incultes et surtout les forêts.
Elle se livre chaque jour à des parcours incroyables, disparaissant à l'aube pour ne revenir que le soir à la ferme. Il ne lui faut ni volière ni parquets, par exemple : elle passe les nuits sur les arbres ou dans les haies qui entourent le logis. La ponte est assez abondante , mais les oeufs sont ridiculement petits ; et quand son heure de couver est arrivée elle les cache bien loin de la ferme dans quelque fourré bien profond. Dès lors elle ne paraît plus du tout le temps de l'incubation de peur de vendre son secret . Elle se suffit à elle".même, et bien souvent on la croit perdue quand elle apparaît un beau matin menant à sa suite vingt ou trente poussins bien éveillés auxquels elle ne tarde pas d'ailleurs à communiquer ses habitudes de grapillage et de vagabondage. La force des ailes est beaucoup plus grande que chez les autres poules: on la voit voler haut et loin, et cela bien souvent uniquement pour arriver plus vite, d'où il résulte qu'à l'encontre de ses congénères classées, elle se sert mieux de ses ailes que de ses pattes.
A toutes ces marques, si on y ajoute d'ailleurs que la chair est d'une finesse et d'un fumet parfaits, ne peut-on pas reconnaître un vrai retour vers l'état sauvage, je ne dis pas tout à fait primitif, mais tendant à en approcher toujours davantage ?
Et aux sujets présentant ces caractères bien marqués de l'état sauvage en même temps que ceux de l'annihilation dernière de toute race n'a-t-on pas le droit d'attribuer le nom de poule commune ? Si cette solution ne paraît pas raisonnable, je n'en vois pas d'autre possible, et il faut entendre par ce terme de poule commune, une désignation tout à fait vague et indéfinie sur laquelle il n'y aura plus à établir un accord quelconque.
Mais je suis persuadé qu'un amateur sérieux possédant, avec les loisirs nécessaires, tous les moyens de se livrer à cette étude, trouverait au bout de quelques années, dans ses constations personnelles, des secrets d'une haute valeur pour la science et en particulier pour la question actuelle. Pour moi je ne livre, on le comprend bien, que le fruit de quelques observations sans autre prétention que de dire comme j'ai vu.

E. d'ARROS




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