LA POULE COMMUNE ( E. d'ARROS , l'Aviculteur 1892 )
La poule commune existe-elle encore de nos jours ? Cela veut dire s'il
existe un type primitif, unique et probablement sauvage de ce genre,
d'où seraient sorties sous l'influence des climats divers, de
l'industrie humaine et d'autres agents multiples, les mille variétés
de poules domestiques aujourd'hui connues et classées.
Or, avant de répondre à cette question, il paraît raisonnable pour
procéder avec méthode, d'en poser une que voici :
Toutes les variétés de Poules que nous connaissons sont elles issues d'un type unique?
Nous connaissons tous sans doute des cas pour lesquels nul doute n'est possible.
Chacun de nous saurait dire sûrement que telle variété , dont les qualités et les défauts
offrent aujourd'hui un état suffisant de fixité pour acquérir le nom de race dans le sens
ou on l'entend en élevage, que cette variété dis-je, sort directement de telles autres
variétés, qui elles-mêmes, descendaient d'une souche commune.
Mais en est-il ainsi pour tout le genre des gallinacés, qu'on est convenu d'appeler en
histoire naturelle le genre coq ?
Y- a-t-il souche unique pour tous ces représentants si divers, depuis la poule à cinq doigts,
jusqu'à la poule chaussée; depuis la poule à chair blanche; jusqu'à la poule négresse;
depuis le superbe cochinchinois, jusqu'à ces avortons qu'on appelle les nains;depuis le
coq à queue relevée, jusqu'au coq sans croupion ?
Un fait bien certain, c'est que depuis qu'il y a eu sur la terre des auteurs qui se soient
occupés de la poule, soit au point de vue scientifique, soit au point de vue pratique,
il ne s'en rencontre pas un qui ait même songé à mettre le fait en doute. Tous, depuis les
siècles les plus reculés, s'ils ne déclarent pas explicitement l'unité de la race, la
supposent d'une manière évidente.
La science future nous réserve-t-elle des surprises sur ce point, je l'ignore ; mais pour
le moment je crois qu'il n'y a guère de voie plus sûre à suivre que celle admise par le
brave abbé Rosier, auteur d'un dictionnaire agricole, imprimé sous la grande révolution.
Voici ce qu'il dit très sérieusement des origines de notre poule domestique :
" On croit communément que toutes les espèces de poules élevées de nos temps dérivent d'un
genre unique. Quoi qu'il en soit, la question est de nulle importance et ne mérite aucune
attention ".
On ne pouvait pas mieux dire pour ne pas se tromper ou du moins pour ne pas assumer de
responsabilités scientifiques.
Buffon, lui, est du nombre de ceux qui n'ont même pas pensé que la question de pluralité
de race peut être posée. Ses écrits sur le coq en font foi dès les premières lignes.
Déplorant l'ignorance des naturalistes des siècles passés sur un sujet pourtant si connu,
il se plaint de leur peu de connaissances sur les variétés des races diverses qui se sont
séparées plus tôt ou plus tard de la souche primitive.
Ailleurs il donne les caractères distinctifs du genre gallinacé et les énumérant avec soin
pour mieux distinguer ce genre de tous les autres appartenant comme lui à la grande
" famille des phasianidés " , il dit: " Chez les gallinacés les plumes sortent deux à deux
de chaque tuyau ; caractère assez singulier, qui n'a été saisi que par très peu de
naturalistes. Et bien qu' il ne cite pas cette particularité comme une preuve de l'unité
de souche, puisqu ' il n'y a pas même pris garde.. on sent par la teneur du contexte que
telle est l'une des meilleures preuves qu'il en apporterait, le cas échéant.
Dupinez de Vorepierre et , en un mot, tous les autres savants à la suite, tiennent pour
la même opinion, avec des variantes, sans doute, mais des variantes qui ne changent rien
à l'intégrité de la question, comme nous le verrons plus tard.
La tradition constante de la science ayant imposé ses jugements, au moins depuis Columelle
qui parlant de la poule à cinq doigts comme déjà connue et appréciée de son temps.
La dérive sans hésiter d'une souche unique à l'égal de toutes les autres, on ne peut que
s'incliner et tacher de résoudre son problème sur la poule commune par une autre question.
Je laisse ici parler Buffon lui même :
" Dans ce grand nombre de races différentes que nous présente l'espèce du coq, comment
pourrons-nous démêler quelle est la source primitive, la poule de la nature ?
Cette poule de la nature que cherche en vain le célèbre naturaliste, est évidemment le sujet
commun que nous cherchons aussi, si nous avons l'ambition d'arriver au vrai mot de l'énigme.
Mais nous verrons bien qu'il faudra renoncer à cette ambition et restreindre le sens que
nous donnons à ces mots de poule commune.
Avant toute époque historique ( que mes bienveillants lecteurs veuillent bien remarquer ce
détail ) il y avait des poules domestiques par tout l'univers : c'est là un fait admis par
la science actuelle tout comme celui de l'unité de race. Ces vieilles aïeules de nos chers
Élèves du 19éme siècle offraient alors comme aujourd'hui sous leurs climats respectifs,
les principales différences qui constituent ce que nous appelons de nos jours les influences
d'habitat, 1es variétés fixes et stables. Or, dès le moment où la science se préoccupait un
jour de chercher parmi ces variétés diverses celle à qui revenait l'honneur d'être appelé
race souche unique, elle ne tarda pas à reconnaître qu' il n' y avait pas de raisons
sérieuses d'adjuger la palme à l'une plutôt qu'à l'autre.
Une tangente lui restait comme dernière ressource, la science y dévia tout naturellement.
Elle se dit que tous animaux domestiques étant issus d'ancêtres sauvages, il ne pouvait en
être autrement de la poule, quelle que fût l'époque où 1'on dût reporter l'acte de sa
domestication.
Dès lors, sus à la poule sauvage! il fallait à tout prix trouver la poule sauvage !
Or, ce n'étaIt pas facile, attendu qu'elle avait jugé à propos pour sa sécurité et sa
liberté de ne pas quitter les montagnes presque inconnues encore de l'Asie.
La Perse, les environs du Pégu , la Birmanie... etc, telles étaient les régions chères à
sa noble indépendance. Les voyageurs intrépides, les colons, les militaires envoyés en
expédition finirent par violer ses retraites sacrées, et un beau matin un tireur
audacieux, presque profanateur coucha par terre un beau couple de ces indigènes tant
convoités : la poule sauvage de Sonnerat était trouvée.
Belles bêtes, parole d'honneur, s'il faut en croire les descriptions officielles!
Mais ( car à toutes choses il y a toujours un mais ), on ne fut pas longtemps sans
s'apercevoir que le sauvage Sonnerat n'était qu'une simple variété parmi les poules
sauvages! Chaque jour amena la découverte d'une nouvelle variété sauvage, on finit par
en découvrir des flottes, présentant entre elles les mêmes menaces, les mêmes bizarreries
de forme, de taille, de port et de couleur que les vulgaires poules domestiques déjà
éliminées scientifiquement.
Pardonnez-moi de reculer devant la difficulté d'écrire tous les noms. Je n'en finirais pas.
Toutefois, il faut bien donner au lecteur une idée de la situation que présentait la poule
sauvage au moment où la science croyait fermement la découvrir Une par les formes, le
plumage ,... etc. Je ne citerai d'ailleurs que les noms des variétés les plus remarquables.
Nous trouvons :
1° le Sonnerat , déjà nommé ;
2° l' Ayam-Alas ;
3° le Bankiva;
4° le coq Bronzé;
5° le coq Jago ;
6° le coq sans croupion;
7° le coq de Mozambique... etc.
Ainsi, après toutes ses recherches dans l'état sauvage, la science n'avait pas fait un pas.
Je me trompe: la véritable science aurait dû comprendre qu'elle venait de faire le
dernier, celui de se heurter à une impossibilité, celui d'avoir d'ores et déjà le devoir
( je ne dis pas simplement le droit ) de conclure qu'il n'y avait plus à chercher le
dernier mot sur la poule de la nature.
( à suivre ... )
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