Des grandes lois grâce à des petits pois ( suite )
En 1900, par une curieuse coïncidence, trois botanistes, TSCHERMAK de
Vienne, CORRENS de Berlin, et DE VRIES D'Amsterdam , s'arrêtent sur une
petite phrase d'un mémoire sur les hybrides végétaux faisant allusion aux
travaux de MENDEL. Ils exhument alors les notes qui dormaient au couvent
de Brünn et donnent aux LOIS DE L'HEREDITE le nom du moine méconnu.
De ses patientes observations, MENDEL avait déduit, par pur raisonnement ,
les lois de l'hérédité. Encore restait-il à trouver les porteurs des
« CARACTERES » héréditaires.
En fait, ils avaient été découverts, du vivant même de MENDEL dans le noyau
de la cellule vivante: c'étaient les chromosomes, sortes de bâtonnets
visibles au moment de la division cellulaire, et ainsi nommés en raison de
leur remarquable affinité pour les colorants.
Mais c'est seulement au XXème siècle que les généticiens devaient leur
attribuer le rôle de support de l'hérédité et découvrir progressivement par
quels mécanismes ils agissaient.
LES GARDIENS DU PATRIMOINE
Il apparut d'abord que leur nombre était constant à l'intérieur d'une espèce
donnée; le noyau de toutes les cellules humaines renferme normalement 46
chromosomes. Mais un fait essentiel permet de comprendre les lois de MENDEL:
les cellules reproductrices ou « GAMETES » - l' oeuf et le spermatozoïde
n'ont que la moitié de ce lot chromosomique de l' oeuf fécondé (ZYGOTE).
En effet, au moment de leur maturation, les cellules sexuelles subissent la
«MEIOSE» : chaque cellule-mère partage son lot de chromosomes entre deux
cellules-filles.
Cette réduction chromosomique s'effectuant au hasard, un même organisme
fabriquera des oeufs - ou des spermatozoïdes - tous différents.
On a calculé qu'un même être humain peut produire 12 777 216 gamètes différentes!
Ainsi , même si elle obéit à des lois, l'hérédité n'en est pas moins une loterie
qui préserve l'individualisme de chacun. Les deux lots chromosomiques des parents
peuvent être considérés comme deux jeux de 46 cartes, dans chacun desquels
nous tirons 23 cartes au hasard; nous obtenons de la sorte un jeu complet et
original de 46 cartes. Mais il est bien évident que chacun de nous est défini
par beaucoup plus de 46 caractères. Aussi, les généticiens ont-ils été conduits
à supposer que chaque chromosome se subdivisait en unités plus petites, ayant
chacune des propriétés héréditaires définies et auxquelles ils ont donné le nom
de «GENES».
Sur les chromosomes humains personne n'a jamais vu ces GENES, leur dimension
est de l'ordre d'un cinquantième de micron !
UNE MOUCHE PROVIDENTIELLE
Mais il se trouve que les glandes salivaires de la Drosophile, ou mouche du
vinaigre, sont pourvues de chromosomes géants sur lesquels on distingue une
alternance de bandes étroites, diversement coloriées :les gènes vraisemblablement.
La génétique doit d'ailleurs beaucoup à la Drosophile. Dès 1910, cette mouche
devint le matériel favori du biologiste américain MORGAN et de ses élèves.
Elle présente sur l'homme et sur les petits pois l'avantage de produire une
génération nouvelle tous les 20 jours. Elle n'a que 8 chromosomes, très
nettement différenciés. Enfin, elle est particulièrement sujette aux mutations.
Grâce à la Drosophile, l'école de Morgan en a appris long sur le comportement
des chromosomes.
Une première découverte fut la reconnaissance de la solidarité entre certains
gènes, supports de caractères qui se manifestent toujours associés : c'est le
phénomène du linkage. Il est bien compréhensible, si l'on admet que ces gènes
solidaires sont situés sur le même chromosome. Un exemple typique de linkage
est fourni par les cas d'hérédité liée au sexe. C'est encore sur la Drosophile
que MORGAN mit en évidence le mécanisme de la détermination du sexe.
LA CARTE DE L 'HEREDITE
La règle du linkage semblait bien établie, lorsque les généticiens de l'école
de MORGAN constatèrent quelques dérogations. Il arrivait en effet que, lorsqu'ils
croisaient entre elles deux variétés de mouches différant par deux caractères
normalement associés par linkage; ceux-ci se dissociaient dans une fraction
plus ou moins importante de la descendance. Comment deux gènes, normalement
portés par le même chromosome, pouvaient-ils se séparer ? MORGAN fit l'hypothèse
que deux chromosomes d'une même paire pouvaient se briser, puis se ressouder,
faisant l'échange d'une partie de leurs gènes. C'est ce qu'il a appelé le
« CROSSING-OVER ». Il peut se produire à tous les niveaux du chromosome.
En étudiant systématiquement toutes les dérogations à la règle du linkage,
et les crossing-over correspondants, MORGAN et ses successeurs se sont
employés à dresser une carte de l'emplacement des gènes le long des
chromosomes de la Drosophile, ce qui aboutit à des résultats aussi curieux
que certains portraits cubistes. Les gènes semblent se succéder dans le plus
grand désordre, le gène du corps nain se trouvant à côté de celui de la
couleur de l'œil , lui-même à côté de celui de la forme de l'aile, auquel
succède celui de la couleur du corps, etc...
Les mutations, exceptionnellement abondantes chez la Drosophile, ont permis
de préciser cette étrange topographie. on est en effet parvenu à établir une
correspondance rigoureuse entre telle mutation et telle modification dans la
striation des chromosomes géants des glandes salivaires, ce qui a permis une
localisation parfaite de tous les gènes mutants et, par conséquent, des gènes
normaux, auxquels ils s'étaient substitués.