Suite de cette étonnante anecdote signalée dans le Cahier de janvier 1895 des Annales de Médecine
vétérinaire, sous la signature de M. le professeur Ad. Reul, et relatée dans le n° 23 de Chasse et Pêche de l'année 1895.
Telle est l'histoire extraordinaire de notre poule-coq. L'oiseau empaillé se trouve chez moi,
et je le conserve comme une vraie curiosité ornithologique. Tout ce qui n'est pas prévenu
se trompe immanquablement sur le sexe de ce gallinacé; on nous répond invariablement : cet
oiseau est un coq. Et si je n'en avais pas examiné les organes internes, moi aussi je
jurerais que l'oiseau a appartenu au sexe mâle, tant il possède les apparences extérieures
du coq. Le cas dont nous venons de faire la relation n'est pas unique en son genre:
Mauduy de Bordeaux, Eudes Deslongchamps, de Caen, Tegetmeier, Hamilton, Edward Crisp en ont
observé de pareils; George Cuvier et Charles Darwin, les deux grands naturalistes, en ont
enregistré d'analogues. Il nous a été affirmé par des amateurs qu'une transformation
extérieure du genre de celle que nous venons de relater est possible chez les fasianidés et
chez les anatidés, particulièrement chez le canard domestique.
On ajoute que les oiseaux de basse-cour susceptibles de changer ainsi d'aspect sont peu
féconds, et que, d'autre part il n'est guère possible de les engraisser. Toujours ils
restent secs et maigres . Dans son si intéressant et si érudit ouvrage : De la variation
des animaux et des plantes à l'état domestique, le père de la doctrine transformiste
cite, d'après Tegetmeier ( Poultry Book, 1866 ), le cas remarquable d'un coq de combat
( Game Fowl ) qui, après avoir été revêtu du plumage masculin le mieux caractérisé,
devint absolument semblable à une poule pendant une saison, mais sans perdre toutefois ni
sa voix de coq, ni ses ergots, ni sa vigueur, ni ses facultés prolifiques. La même
singularité se reproduisit en la même saison au cours des cinq années suivantes.
Pendant ces périodes de transformation, ce coq a procréé des mâles, dont les uns avaient
le plumage masculin, les autres le plumage féminin.
M. Grantley Berkeley signale un fait plus anormal. Il s'agit encore d'une famille de la
race des combattants - race prédisposée sans doute - donnant invariablement dans chaque
nichée un coq revêtant les apparences extérieures de la poule.
Un de ces oiseaux offrait une particularité bizarre : selon les saisons, en effet, il
changeait non seulement d'aspect sexuel, mais encore de couleur. Durant une saison, il
portait le plumage féminin et était de couleur noire ; puis, à la saison suivante, après la
mue, il revêtait la livrée du mâle et devenait rouge intense, à poitrine noire. L'année
d'après, il reprenait le plumage sombre de la femelle. Ces faits enregistrés dans les
annales de la science ont une certaine analogie avec le cas spécial que nous avons relaté
plus haut, quoiqu'il s'agisse dans ceux-là de la transformation des apparences masculines
en apparences féminines, alors que le contraire est vrai dans celui-ci. Néanmoins, il est
singulier de voir des sujets de certaines races gallines , perdre, à certains moments,
quelques-uns de leurs caractères sexuels secondaires et ressembler beaucoup plus aux oiseaux
du sexe opposé et par leur plumage, et par leur aspect extérieur, et par leurs manières.
Dans son Origine des espèces, Darwin fait du reste remarquer que "les caractères sexuels
secondaires sont sujets à de grandes variations dans les espèces ,d'un même genre, et
qu'ils sont extraordinairement variables chez les individus d'une même espèce " . Nous
ajoutons volontiers que ces variations ont porté les zootechnistes à distinguer, parmi
les sujets appartenant aux espèces exploitées par l'homme, des types fins et des types
grossiers ( ou mâles à l'aspect féminin et femelles à l'allure de mâles ), dont il y a
lieu d'exiger des services différents parce qu'ils possèdent généralement des aptitudes
différentes. Un mot encore : Comment se fait-il que l'on n'ait pas signalé plus
fréquemment des faits de transformation des caractères sexuels extérieurs chez les
oiseaux de basse-cour, analogues à celui que nous venons de relater? C'est, à notre avis,
parce que ces intéressantes modifications physiques sont la conséquence d'un âge avancé
et ne se présentent guère que chez les Mathusala de l'espèce galline. Or, ceux qui
exploitent la volaille avec science et profit savent qu'il convient de supprimer toute
poule qui vient de terminer sa quatrième année, l'entretien de la pondeuse cessant d'être
rémunérateur passé cet âge. Nos intérêts exigent donc que nous ne laissions pas à nos
oiseaux le temps de vieillir dans nos basses-cours. N'est-ce pas là la principale raison
pour laquelle nous n'observons pas plus fréquemment les modifications physiques qui sont
survenues chez notre poule-coq de dix-sept ans?
Ad. REUL
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