Chasse et Pêche n° 23 du 10 mars 1895.
Nous trouvons dans le Cahier de janvier de cette année des Annales de Médecine
vétérinaire, sous la signature de M. le professeur Ad. Reul, l'histoire très
intéressante suivante, d'une poule âgée, et de ses transformations imprimées par
l'âge :
Le 29 mai 1892, notre estimable et sympathique ami M. Ch. Wellens, ingénieur
aux chemins de fer de l'Etat belge, nous apportait le cadavre d'une vieille volaille
qui venait de succomber à son grand âge. M. Wellens nous avait souvent entretenu de ce
gallinacé au point de vue de sa longévité, et aussi quant à un changement complet
d'habitus survenu chez l'oiseau durant les dernières années de son existence sénile;
mais nous n'avions jamais eu l'occasion d'aller rendre visite à ce curieux spécimen.
Bien plus, en jetant un coup d' oeil sur les restes de la volaille que l'on nous remettait
si gracieusement à titre de curiosité zootechnique ,nous ne pûmes nous empêcher de nous
écrier au premier examen : Mais cette poule, c'est un coq ! L'oiseau offrait, en effet
tous les caractères du mâle : crête assez développée, plumage abondant; superbe camail
rouge cuivré, ressortant sur les tectrices noires du cou, des épaules et du poitrail;
rémiges longues, descendues contre les tibias; rectrices relevées vers le dos, puis
disposées en arc de cercle, les deux supéro-antérieures très longues ( elles mesurent
exactement 26 centimètres), d'un noir corbeau , recourbées en faucille; bec crochu et
fort; tarses agrémentés d'ergots longs de 12 millimètres, mais à pointe mousse et peu
acérée, flexibles et sessiles.
En effet, en manipulant l'éperon de la patte gauche, il se détacha et nous resta entre
les doigts comme une simple verrue. Nous ne pouvons mieux comparer cette production
épidermique occupant la place de l'ergot du coq, qu'à une exubérance épithéliale du même
genre, que nous avons rencontrée maintes fois à l'endroit des cornes dans les races
désarmées du bétail Polled. (Red-Polled. Black-Polled, etc…)
Dans les deux cas, cette
végétation épidermique n'est-elle pas là comme un jalon marquant le siège de l'organe
absent ! Les ongles étaient longs, tordus, tire-bouchonnés, et les pattes écailleuses
comme chez toute volaille arrivée à un âge avancé.
A part quelques petites particularités d'ordre secondaire, le cadavre que nous avons devant
nous est donc selon toute apparence celui d'un vieux coq Bantam.
Or, l'autopsie que
nous avons pratiquée séance tenante est venue nous démontrer que nous versions dans
l'erreur et que nous nous trouvions bien en présence d'une poule et non d'un coq. Nous
rencontrons la grappe ovarienne gauche, la seule qui soit développée chez l'oiseau ,
comme on le sait, parfaitement apparente , quoique réduite à un petit amas de grains fins,
ayant cessé de fonctionner depuis longtemps, sans doute; l'oviducte n'est plus représenté
que par un cordon d'aspect fibreux ; et, dans l'abdomen, flottent libres, entre les
circonvolutions intestinales, quantité de fragments durcis de jaune d' oeufs, phénomène
de ponte intra-abdominale que nous avons décrit dans les Annales vétérinaires, il y a
une quinzaine d'années, et qui est plus fréquent qu'on se le figure généralement.
Pas la moindre apparence d' hermaphrodisme.
La poule -coq, qui fait l'objet de cette
étude ,ayant passé la majeure partie de son existence dans la basse-cour d'un ami de
M. Wellens, nous obtenons aisément des renseignements sur l'histoire complète de cette
intéressante volaille ; voici les réponses écrites que nous avons reçues à cet égard :
a.) Ma poule Bantam n'a jamais été qu'une médiocre pondeuse, et toujours elle nous
donnait des oeufs sans écale.
b.) Elle pondait assez régulièrement durant la be
lle saison, mais à des intervalles de deux ou trois jours.
c.) Elle a cessé de pondre, il y
a sept ans environ; elle avait approximativement 10 ans.
d.) A diverses reprises; elle justifia le nom qu'on lui avait donné: la servante.
En effet, une poule en train de couver ayant tout à coup abandonné ses oeufs, la servante
la remplaça et mena la couvée à bonne fin. Une autre fois, une mère étant morte,
la servante s'occupa des orphelins et eut des soins dévoués pour les poussins, qu'elle
éleva fort bien.
e.) A noter ceci : dès qu'elle trouvait des oeufs dans le pondoir,
elle s'installait dessus et les couvait.
f.) Il y a environ cinq ans ( la poule pouvait alors être âgée d'une douzaine d'années),
nous nous aperçûmes qu'il lui poussait autour du cou un étincelant collier de plumes dorées;
l'année suivante, cette collerette se montrait plus développée encore; à la même époque,
les plumes dé la queue se redressèrent tout en s'allongeant, et, finalement elles formèrent
le panache comme chez le coq. Ce changement radical s'opéra en moins de trois ans.
Il est bon de noter qu'avant cette transformation, ma poule naine était d'un noir peu
brillant et grosse tout au plus comme un pigeon de ferme. Le brillant du plumage n'apparut
que lorsque les formes du mâle s'accentuèrent.
g.) Dès que cette petite Bantam eut ainsi pris les apparences du coq, ses allures se
modifièrent du tout au tout : elle affecta vis-à-vis des poules toutes les manières d'un
coq; elle fit le beau, déploya les ailes. Elle se rengorgeait, essayait de chanter et
faisant le simulacre de l'acte du coït avec les poules seulement. Elle leur donnait des
coups de bec sur la tête et les menait au pondoir.
En un mot, devenue vieille , ma poule Bantam avait pris non seulement l'aspect physique,
mais encore toutes les manières du coq.
( à suivre ... )
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